Les malades alcooliques peuvent-ils consommer de la bière sans alcool ?

En France, la définition officielle d’une bière sans alcool est la suivante  :

  1. La dénomination « bière » est réservée à une boisson obtenue par fermentation alcoolique d’un moût à base de malt de céréales, de matières premières issues de céréales, de sucres alimentaires et de houblon, de substances conférant de l’amertume provenant du houblon et d’eau potable. Le malt de céréales représente au moins 50 % du poids des matières amylacées ou sucrées mises en œuvre.
  2. La dénomination « bière sans alcool » est réservée à la bière qui présente un titre alcoométrique acquis inférieur ou égal à 1,2 % volume, obtenu par désalcoolisation ou par interruption de la fermentation.

Cette réglementation permet aux brasseurs d’afficher en toutes lettres et en toute légalité l’appellation « sans alcool » sur l’étiquette du produit. Cette tromperie commerciale peut ne pas être sans conséquences lorsque les consommateurs ont développé une maladie alcoolique ou quand, pour des raisons diverses, ils doivent suivre un régime strictement sans alcool (notamment en cas d’utilisation de médicaments à effet antabuse incompatibles avec la prise d’alcool, par exemple certains antibiotiques et antiparasitaires).

Il existe trois procédés principaux permettant d’obtenir un produit fini répondant à ce taux d’alcool. L’enjeu est de pouvoir obtenir une « bière sans alcool » qui conserve au maximum les propriétés organoleptiques du produit, c’est-à-dire son goût et sa texture.

  1. La distillation permet de retirer une grande partie de l’alcool contenu dans une bière brassée de manière classique, afin d’obtenir un taux inférieur à 1,2%vol imposé par la réglementation. Ce procédé demande le retrait préalable du gaz carbonique (CO2), qui doit être réinjecté ensuite dans le substrat pour obtenir un produit fini pétillant comme la vraie bière.
  2. La fermentation raccourcie est le moyen le plus utilisé pour créer une bière « sans alcool » dont le goût se rapproche le plus d’une bière classique. Le taux résiduel d’alcool reste très proche du degré légal de 1,2%. Cette bière ne sera donc pas sans molécule d’éthanol comme l’appellation « bière sans alcool » pourrait le suggérer.
  3. Enfin, la désalcoolisation par osmose inverse est le procédé présentant les meilleurs résultats quant à l’élimination de l’alcool du produit fermenté, mais il s’agit d’un procédé complexe et coûteux qui, de plus, altère le goût de la bière s’il n’est pas suffisamment sophistiqué. Cette technique est la moins utilisée pour la bière.

On voit ainsi qu’aucune méthode ne permet vraiment d’obtenir une bière à 0%vol, d’où les tolérances en matière de réglementation et d’affichage.

De nouveaux brevets de fabrication ont été déposés par plusieurs brasseurs pour permettre d’atteindre un degré d’alcool inférieur à 0,1% dans le produit fini et ainsi justifier la déclaration « Alcool 0,0% » (en tronquant le résultat et en supprimant habilement la seconde décimale : 0,09% devient ainsi 0,0%). Malgré la précision hypocritement très précise, cette bière n’est donc pas totalement dénuée d’alcool, le degré moyen étant de 0,05%.  Plusieurs grandes marques commercialisent actuellement ces produits à grand renfort de publicité.

Les plus curieux peuvent se référer au brevet de fabrication déposé par la Brasserie du Cardinal (Fribourg)

Cliquez ici : Brevet fabrication bière sans alcool EP0560712A1

Dangers de la bière sans alcool pour les malades alcooliques

Malgré la faible teneur en alcool de ce produit, celui-ci présente potentiellement des risques pour une personne ayant développé une dépendance à l’alcool et actuellement abstinente :

  • La présence d’alcool peut réveiller les récepteurs du cerveau sensibles à l’éthanol. Les patients sous traitement d’Espéral® (disulfiram) doivent faire preuve d’une vigilance toute particulière car l’ingestion d’alcool, même en quantité très réduite, peut provoquer des malaises importants.
  • Le goût et l’odeur, qui sont bien présents, peuvent faire réapparaître la tentation de re-consommer des boissons alcoolisées.
  • Même si les malades n’ont pas développé de dépendance physique, retrouver le goût des boissons alcoolisées peut réveiller la mémoire des alcoolisations passées, mémoire particulièrement sensible les deux premières années d’abstinence.

Il est à noter que les vins/champagnes sans alcool sont naturellement  soumis aux mêmes principes physiques/ chimiques que la bière et que leurs procédés de fabrication ne permettent pas d’éliminer totalement l’éthanol . Ils en contiennent donc un certain taux (jusqu’à 0,5%vol selon la réglementation européenne, plus sévère que pour la bière). Les dangers sont bien-sûr identiques à ceux présentés par la bière sans alcool.

En tant qu’addictologue et en tant que clinicien, je suis très réservé quant-à la consommation de ces produits par des personnes alcoolo-dépendantes abstinentes, ayant vu au cours de ma carrière beaucoup de malades rechuter à cause d’eux car ils constituent un puissant rappel pour notre pauvre cerveau archaïque (hippocampe notamment). Ce dernier ne sait pas trop bien faire la différence entre un peu et beaucoup d’alcool, et ces petites doses répétées peuvent lui donner le désir grandissant de retrouver les bonnes vieilles habitudes d’avant le sevrage et préparer  silencieusement la rechute !

Il y a toutefois des cas où ces produits peuvent faciliter une réduction de la consommation d’alcool lorsque l’objectif actuel n’est pas l’abstinence totale.

Dans les problèmes d’addiction, il est toujours préférable d’appliquer le principe de précaution. Dans tous les cas, parlez-en à votre addictologue avant de consommer des boissons désalcoolisées.

 

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3 Comments

  1. Merci pour vos conseils

  2. Gout Odeur Texture ,Moments de consommation ,Nom, emplacement dans le magasin
    Le cerveau se dite l’alcool n’est pas loin ,il ne manque que lui ..il va revenir ..

    • Vous résumez très bien la problématique! Et si je m’appuie sur mon expérience professionnelle, une vraie bière finit toujours par venir, pour x raisons, se glisser entre deux fausses et remettre en question le maintien de l’abstinence.

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