La personnalité Etat Limite (borderline)
Ce style de personnalité se caractérise par une fragilité et une variabilité de l’image de soi (satisfaction-insatisfaction permanente), une grande instabilité dans l’évaluation des événements (optimisme-pessimisme, noir ou blanc), des difficultés relationnelles (défaut d’empathie, rapports trop proches ou trop distants, admiration-mépris, amitié-hostilité, amour-haine, idéalisation-dévalorisation), des états d’humeur fluctuants (passage très rapide fierté-honte, joie-tristesse, exaltation-dépression). Ces personnes ont des difficultés à contrôler leurs émotions, notamment les colères subites, ce qui les rend très imprévisibles. Ces changements intenses et rapides de leur jugement et de leurs affects donnent souvent lieu à des comportements impulsifs qu’elles sont incapables de maîtriser et qu’elles regrettent ensuite.
La caractéristique la plus fréquemment observée et qui oriente le diagnostic est sans nul doute une crainte viscérale de l’abandon, entretenue par le fait que ces personnes ont une image négative d’elle-même et un manque profond d’estime de soi. Elles dépensent beaucoup d’énergie à essayer de lutter contre le risque d’abandon/rejet, qu’il soit réel ou imaginaire.
Les personnes présentant ce trouble ressentent les choses sans nuances, tout est noir ou bien blanc : soi-même, les autres, le moment présent, leurs conditions de vie ou de travail, leur avenir… Elles peuvent, sous le coup de l’émotion, passer d’un extrême à l’autre en quelques heures, voire en quelques secondes et peuvent prendre des décisions impulsives qu’elles regrettent vite quand cette émotions s’apaise ou s’inverse. L’image négative qu’elles ont d’elles-mêmes peut les amener à un sentiment permanent d’autodestruction : les tentatives de suicide ne sont pas rares, ainsi que les automutilations, les scarifications et le recours aux addictions pour supporter cette vie à laquelle elles ont du mal à donner un sens.
Pour Bergeret, l’angoisse au cœur de cette personnalité concerne la crainte permanente de l’abandon ou de l’éloignement qui apparaît dès que le sujet imagine que sa relation à l’autre est en péril. La lutte contre cette angoisse se manifeste surtout par une instabilité : recherche permanente de l’autre ou des autres pour combler son besoin d’affection et de réassurance. Le sujet peut séduire mais se montre incapable de se fixer dans une relation stable. Cette nécessité d’être apprécié et reconnu peut donner l’impression aux autres qu’il est parfaitement adapté socialement et professionnellement ainsi que très mature sur le plan affectif. Mais ce n’est qu’une façade donnant l’illusion de la normalité, construite sur un manque d’authenticité dans les rapports aux autres (personnalité « as if » de Hélène Deutsch).
La personne borderline fait « comme si » elle était normale et parvient souvent à donner le change aux personnes qui ne la connaissent pas intimement. C’est dans les relations intimes, affectives ou amoureuses qu’apparaît nettement son narcissisme mal établi (manque d’estime de soi et d’indépendance), son besoin vital d’être comprise, respectée, reconnue, aimée et soutenue, étant incapable elle-même de satisfaire ces besoins. Elle dévoile alors son immaturité affective qui contraste avec ses capacités cognitives souvent supérieures à la moyenne. Il est même tentant d’avancer que c’est l’écart vertigineux entre grande capacité de raisonnement et immaturité affective qui provoque le mal-être et l’instabilité de sa personnalité car elle n’arrive pas à coordonner ses ressentis et leurs interprétations, ce qui l’empêche de se comprendre et de s’accepter telle qu’elle est. Je serais tenté de décrire ainsi la personne borderline : « un corps d’adulte, un raisonnement d’adolescent et un coeur d’enfant ».
Quelques chiffres
Prévalence du trouble : 2 à 3 % de la population générale
- 2 fois plus fréquent chez les femmes
- 15 % de la population psychiatrique. Entre 30 et 60 % des troubles de la personnalité.
- 60 à 70 % des borderline feront une ou plusieurs TS durant leur vie. Ces tentatives sont en général impulsives et non préméditées.
- Fréquence importante des conduites toxicomaniaques (alcool, drogues) associées. Egalement TCA chez les femmes (conduites boulimiques principalement).
- 80% ont d’autres troubles de personnalité associés : traits hystériques, antisociaux, paranoïaques notamment.
Pour ceux qui veulent en savoir plus :
Le trouble de la personnalité Etat Limite a été décrit dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM IV). Ce « dictionnaire des maladies mentales » permet aux psychiatres de communiquer entre eux et de poser leurs diagnostics sur des critères standards et objectifs.
Mode général d’instabilité des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects avec une impulsivité marquée, qui apparaît au début de l’âge adulte et est présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins 5 des 9 manifestations suivantes :
(1) Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginaires.
(2) Mode de relations interpersonnelles instable et intense caractérisées par l’alternance entre les positions extrêmes d’idéalisation excessive et de dévalorisation.
(3) Perturbation de l’identité: instabilité marquée et persistante de l’image ou de la notion de soi
(4) Impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet (par ex.., dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite automobile dangereuse, crises de boulimie).
(5) Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou d’automutilations
(6) Instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur (p. ex., dysphorie épisodique intense, irritabilité ou anxiété durant habituellement quelques heures et rarement plus de quelques jours).
(7) Sentiments chroniques de vide.
(8) Colères intenses et inappropriées ou difficulté à contrôler sa colère (p. ex., fréquentes manifestations de mauvaise humeur, colère constante ou bagarres répétées).
(9) Survenue transitoire dans des situations de stress d’une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères
Symptômes cliniques présentés par les Etats-limites
Les patients ayant un trouble de personnalité Etat-limite peuvent présenter de nombreux symptômes, différents d’une personne à l’autre :
Angoisse
- Constante, labile, polymorphe
- Angoisse d’abandon et d’éloignement (plus que de perte) d’objet
Manifestation la plus constante, elle habite le patient en permanence, comme un bruit de fond. Flottante, labile, pouvant être intense (jusqu’au raptus anxieux), elle peut envahir le patient à tout moment, souvent sans élément déclenchant conscient (pour Bergeret, cette angoisse correspond à une angoisse d’abandon qui apparaît dès que le sujet imagine que sa relation à l’autre est en péril). Très différente de la banale angoisse phobique du névrosé ou de l’angoisse de morcellement du psychotique, elle est associée à une sensation d’ennui, de vide, de non existence, de « manque impossible à combler » qui induit un mal-être quasi-permanent et des torrents d’interrogations et de doutes, notamment la crainte de l’abandon tant redouté. Cette angoisse diffuse peut se transformer à certains moments en crises paroxystiques et favoriser des passages à l’acte, tentatives de suicide ou scarifications.
Dépression
40 à 60 % des patients Etat Limite souffrent de dépression. Certains auteurs comme Bergeret en font l’élément central de l’organisation structurelle du patient. Cette forme de dépression diffère néanmoins de l’épisode dépressif majeur « classique » :
- Labilité de l’humeur, passage rapide d’une humeur normale à une humeur expansive, dépressive ou anxieuse.
- Pas de ralentissement psycho-moteur ou rarement.
- Les sentiments de culpabilité et d’auto-accusation sont rares, notamment en cas de prédominance des symptômes pseudo-psychopathiques. Cette culpabilité est remplacée par le sentiment de déception. L’imaginaire remplaçant souvent l’imagination, la vie de la personne Etat Limite est faite de déceptions permanentes (les choses imaginées ne correspondent jamais à la réalité, comme le ciel des vacances sur le catalogue qui est plus bleu qu’en vrai, la nouvelle rencontre qui n’est pas aussi magique que prévue, etc.)
- L’humeur dominante n’est pas la tristesse mais les sentiments d’ennui profond, de vide chronique, d’insatisfaction et de désintérêt
- La douleur morale peut être intense, équivalente à celle éprouvée dans la mélancolie mais sans les symptômes déficitaires. Désespoir et impuissance face aux désirs fantasmés mais inaccessibles, la mort comme solution est régulièrement envisagée, le risque suicidaire est majeur.
- La colère est plus souvent exprimée que la tristesse. Inappropriée et mal maîtrisée, elle peut se traduire par des accès de violence le plus souvent dirigés contre soi (tentatives de suicides, automutilations, scarifications).
- L’intolérance à la solitude s’associe à l’insatisfaction et aux reproches adressés aux autres (tendance à reporter la responsabilité de son mal-être sur les autres, notamment les intimes ; intolérance à l’autre (vécu comme persécuteur) et intolérance à la solitude (l’autre vécu comme objet indispensable) sont paradoxales mais coexistent en permanence. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne les rapports avec leurs intimes, notamment les parents avec qui elles peuvent se montrer parfaitement odieuses alors qu’elles sont en général prudentes avec les autres personnes. La raison est simple : avec leurs parents, elles se permettent de se montrer authentiques car elles ne craignent pas leur abandon, elles savent qu’ils leur conserveront leur amour quoiqu’elles fassent.
- Peu accessible aux médicaments psychotropes. C’est souvent lorsque les thérapies médicamenteuses sont peu efficaces que le clinicien va privilégier le diagnostic de trouble de la personnalité par rapport à un trouble de l’humeur. Il est toutefois parfaitement possible que les deux troubles coexistent.
Autres symptômes
Les symptômes pouvant accompagner le trouble sont très nombreux, provoqués par cette organisation instable qui fait osciller en permanence les ressentis d’un extrême à l’autre et active ainsi, dans le but de se protéger de l’angoisse, des mécanismes de défense stéréotypés, le plus souvent inadaptés à la situation mais qui, par leur répétition systématique, deviennent des traits de personnalité. Ce sont des symptômes qui, apparaissant habituellement dans d’autres psychopathologies, compliquent également le diagnostic différentiel.
– Manifestations pseudo-névrotiques d’ordre hystérique (théâtralisation), phobiques (peur de la maladie, de la contamination, phobie sociale, …), ruminations narcissiques (se sentir malheureuse, abandonnée de tous, se complaire dans la souffrance),
– Manifestations pseudo-psychotiques (états semi-confusionnels et sentiments de persécution en cas de crise, recours systématique à l’imaginaire qui se substitue à l’imagination et dénie la réalité)
– Manifestations pseudo-psychopathiques provoquées notamment par l’intolérance à la frustration et mises en actes fréquentes : abus de produits (alcool, médicaments psychotropes, drogues), comportements impulsifs et antisociaux (violences, mensonges, transgressions).
Constitution de la personnalité Etat Limite
D’après Bergeret, la névrose et la psychose sont des structures (fixité, stabilité, cohésion interne) alors que l’état-limite est une organisation (ensemble de sous-systèmes oscillants et pendulaires, bordés et parfois partiellement recouverts par les 2 structures). Cette organisation évolue de la manière suivante :
- Normalité jusqu’à l’âge de 2 ans
- Traumatisme désorganisateur précoce: sexuel ou à valeur de séduction, perçu comme une blessure narcissique. Ce traumatisme est un postulat qui n’apparaît pas dans l’anamnèse du sujet et qu’il ne faut pas rechercher dans l’analyse car la réalité de son existence n’est pas importante.
- Pseudo-latence précoce: Ce traumatisme précoce va déclencher l’installation de mécanismes de défense qui vont protéger la personne de l’angoisse mais vont l’empêcher de vivre le conflit oedipien, c’est-à-dire d’acquérir une maturité affective et sexuelle dans le rapport aux autres. Cela se traduit souvent par l’absence de crise d’adolescence, ce qui ravit les parents alors que cela devrait les inquiéter.
- Tronc commun aménagé: Cette période de latence peut durer toute la vie si aucun autre traumatisme ne survient. La personne vit et se comporte normalement grâce aux mécanismes de défense mis en place suite au traumatisme désorganisateur précoce. Elle est en apparence tout-à-fait adaptée mais sa structure psychique reste non fixée et potentiellement instable. En général immaturité sexuelle et affective masquée.
- Traumatisme désorganisateur tardif. En cas de second traumatisme vécu comme blessure narcissique (séparation, deuil, conflits, maltraitance, violence, …), en général chez l’adolescent ou le jeune adulte, les mécanismes de défense deviennent trop faibles pour faire face à ce traumatisme et de nouveaux aménagements psychiques ont lieu, avec pour conséquence possible un basculement dans la psychose s’ils échouent ou, s’ils réussissent, une modification parfois profonde de la personnalité et, par suite, du ressenti, de la pensée et du comportement.
Le prochain article abordera la prise en charge de ce trouble de personnalité.
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Bonjour
Je m’appelle Guillaume, j’ai 37 ans et j’ai été diagnostiqué Borderline après 10 ans de dépression. Sachez que le CHU de Montpellier propose en une sorte de TCD condensée en présenciel et en distanciée entièrement remboursée par l’assurance maladie.
Pour partager mon témoignage, après la compréhension de mon trouble et beaucoup de lectures, je ne suis maintenant plus suicidaire ni quasiment plus explosif colérique. En revanche je ne retravaille toujours pas, et je me suis réfugié dans un état « enfantin ». J’ai toujours beaucoup besoin de présence et d’amour autour de moi et je n’arrive pas à refaire face aux responsabilités.
Voilà cordialement courage à tous ça se soigne avec le temps.
Sincères pensées.
Merci pour votre témoignage et cette info qui pourra peut-êtree aider d’autres patients.
« Patient », il faut l’être quand on travaille sur sa personnalité, le cerveau n’aime pas que l’on bouscule ses défenses ! Pas à pas… dans un premier temps mieux se connaître pour mieux s’accepter.
Courage et optimisme !
Bonjour, ma fille, 19 ans, est diagnostiquée borderline par son psychiatre. Est-ce possible pour une maman de n’avoir rien vu? Est-ce que je suis forcément borderline (sans le savoir) si ma fille l’est? De quel droit peut-on affirmer qu’il y a eu traumatisme désorganisateur précoce et que cela serait lié à un abus sexuel? Elle est fille unique, nous avons décidé de faire un enfant à 35 ans, elle a été très aimée et respectée, alors je ne comprends pas pourquoi on remet systématiquement le schéma parental en cause? Par avance, merci de vos réponses. (je conserve ce site en marque page car il m’aide à mieux comprendre ma fille et donc je reviendrais voir vos réponses éventuelles). Merci. Aline.
Bonjour ma fille de 19 ans est borderline.et elle n a jamais rien subi de traumatisant.donc surtout ne culpabilisez pas et surtout bon courage a vous
Ma fille du.me age l est également et il ne faut surtout pas vous culpabiliser. Moi elle a vécu normalement sans rien vivre de traumatisant. Les médecins disent que pour certains c est un souci dans le cerveau donc rien a voir avec les parents
Bonjour,
J’ai été diagnostiqué TPL en 2016 après plusieurs périodes dépressives, TCA sévère ( denitrution avec IMC 11,2 ), multiples tentatives de suicides, hypersensibilité, relation interpersonnelle cahotique. J’ai aujourd’hui 51 ans et je découvre qu’il existe une thérapie dialectique comportementale bénéfique dans l’accompagnement du patient souffrant de trouble de la personnalité limite. Je suis suivie par la Pr Massoubre du CHU de Saint-Etienne.
Je souhaiterai connaître la liste des thérapeutes spécialisées en therapie dialectique comportementale à Saint-Etienne ou à Lyon. Je suis en arrêt de travail jusqu’au 14 juin 2021 ou je devrai reprendre mon métier de bibliothécaire à la ville de saint etienne. Les six premiers mois seront une reprise à mi temps thérapeutique. J’ai donc le temps, la détermination et la volonté à être actrice de mes soins pour enfin vivre plus sereinement. Je vous remercie de vos conseils et de votre aide.
Cordialement
Nathalie Forissier ( téléphone 06.41.75.15.81 )
Bonjour et merci pour ce partage.
Il y a assez peu de thérapeutes pratiquant la TCD en France, pour la raison notamment qu’il n’existe pas de réelle formation.
Pour connaitre la liste des thérapeutes spécialisées, je vous conseille de vous rapprocher de 2 associations très actives, l’AAPEL et l’AFORPEL.
Concernant la thérapie TCD, elle est vraiment efficace pour atténuer les manifestions du trouble et surtout de mieux les gérer.
Par contre, je le dis et le répète à tous les patients qui veulent s’engager dans cette voie, il s’agit d’un vrai travail qui demande du temps, de l’énergie et de la constance. La thérapie doit occuper une place importante dans la vie du patient, elle ne se limite pas à l’heure hebdomadaire (puis bimensuelle) passée dans le cabinet du thérapeute, loin de là.
Mais lorsque le patient parvient à s’approprier les techniques d’auto-observation et à les utiliser au quotidien, les progrès peuvent être très rapides, notamment dans le domaine des relations aux autres. Le Mindfullness et la sophrologie constituent des outils complémentaires incontournables pour aider à la gestion des débordements émotionnels.
En résumé, beaucoup d’espoir pour les personnes motivées de mener une vie plus apaisée.
Lisez le petit article qui détaille cette prise en charge (comment se déroule la thérapie d’une personne borderline…).
Courage!
Bonjour, étant borderline et vivant sur St Étienne, je recherche actuellement la même chose. Avez-vous trouvé des pistes depuis votre publication ? Merci d’avance pour toute réponse.
Explication bien détaillée et accessible aux non initiés
Bravo pour ce diagnostique bien expliqué ! Merci !